L'Angleterre n'avait pas une réputation de terre pluvieuse pour rien. En une semaine, soit sept jours ou 168 heures, le pays connaissait des averses telles qu'une trentaine de centimètres, au moins, auraient pu être totalisés. Il était cependant assez rare d'y avoir les pieds mouillés, pour la simple et bonne raison que les trottoirs y étaient hauts, tellement hauts qu'une marche paraissait utile pour rejoindre le chemin destiné aux véhicules. Il pleut, et pourtant, l'homme parvient une fois de plus à s'adapter aux intempéries. Tu les regardes, tous cachés derrière leurs parapluies trop larges, dans leurs blousons trempés ... Bien à l'écart, tu te tais et reste immobile, assis sur un tabouret dont le coussin est en lambeaux, propriété d'un bar piteux que tu ne connais pas. Il y a cet homme qui court, à l'extérieur, mallette à la main et sueur au front. Je vois un sourire naître, sur le coin de tes lèvres. Tu le trouves minable, esclave de toute une hiérarchie tyrannique, avec pour seule motivation l'espoir d'un salaire à la fin du mois. Tu te mets à ricaner, tes éclats de rire couverts par les bouteilles qui s'entre-choquent, à quelques mètres de toi, de l'autre côté du comptoir. On dirait que le patron et son associé fêtent un évènement particulier. Tu aimerais te joindre à eux, boire une gorgée ou deux du vin qu'ils se servent et repartir, les félicitant d'une réussite dont tu te fiches royalement. Oui, comme d'habitude, ton esprit de cafard se réveille, tu aimerais aller profiter de ce qui n'est pas à toi, tu apprécierais recevoir sans donner. Malheureusement, ton apparence te le refuse. Comment une personne saine d'esprit pourrait-elle te faire confiance, te proposer de te joindre à elle ?
Tes cheveux noyés dans le gel coiffant, ton teint de cadavre et ton haleine transpirant l'alcool ne jouent pas en ta faveur, je te l'avoue. Fletcher, ce n'est pas aujourd'hui que tu pourras jouer de ta beauté pour obtenir ce que tu veux. Tu n'as jamais eu un physique agréable, ni même un signe distinctif qui obscurcissait tes défauts, une marque plaisante qui t'aurait rendu un peu plus unique. Non, tu as, en somme, une apparence plus qu'ordinaire. Seuls tes yeux verts, d'un vert de grenouille malade rappellent la jeunesse, que tu as traversée. L'allure maladive que tu traînes depuis des années semble t'arracher ton enfance, te prendre ce grain d'innocence qui subsiste en chacun, fut-il d'une envergure considérable ou microscopique. Lorsque l'on t'aperçoit, on jurerait que tu es né tel que tu es présentement, vieux, misérable et maussade. Tes pupilles rétractées parlent d'elles-même, dévoilant au premier regard que tu croises tes nombreux vices, tes nombreuses addictions. L'alcool, le mensonge, le tabac, le vol ... Tes seuls intérêts dans ce bas monde. Dans un coin du bar, à proximité de la porte, tu regardes cette sorcière rougissant au moindre sourire de celui qui l'accompagne. Et à nouveau, tu te questionnes. Est-ce un manque profond d'humanité de ne pas savoir s'attacher ? Serais-tu un tantinet parano, voire carrément malade ? Ces doutes qui te taraudent depuis des années auraient pu témoigner d'une certaine intelligence, d'une envie de repenti. Seulement très vite, à l'instant même où les idées te travaillent, tu stoppes tout net et décides de ne plus y penser, jusqu'à ce qu'un manque de whisky pur feu fasse resurgir tes inquiétudes enfouies. Car oui, toi, Mondingus Fletcher, tu te sentais seul. Seul, insensible et mille fois trop méprisé. Me concernant, je crois que ton unique problème était d'être inconscient. Inconscient, bercé d'illusion ou bourré d'amour-propre, je l'ignore, mais il est certain que tout irait mieux si tu parvenais à te rendre compte de l'être ignoble que tu es. Eh non, Ding, tu ne seras pas plus aimé parce que tu amasses des objets qui ne sont pas les tiens. Non, tu ne te feras pas une place dans le monde magique en étant malhonnête. Non, tu ne seras pas un grand sorcier parce que tu as de l'argent. A l'aube de ton quarantième anniversaire, est-il encore possible que tu changes ? Autant de chances que celles de tomber sur un ouragan projetant des gerbes de fleurs au beau milieu du Sahara ...
La gloire, l'or, la reconnaissance, cela t'as toujours attiré comme un aimant. Malheureusement, l'effet ne semblait pas réciproque. Tu es un inconnu aux revenus pitoyables, pour qui pas même un rat n'éprouvait du respect. L'inaccessible te fais pâlir d'envie, ce que tu sais hors de ta portée entre forcément dans tes priorités d'obtention. Probablement l'une des explications les plus rationelles à ton malheur, tu ne penses pas ? L'exemple le plus concret de ta folie des grandeurs reste la fameuse Jane. Tu l'as aimée, trop peut-être, alors qu'elle ignorait tout de toi, jusqu'à ton existence. Un traumatisme ? Non, ça m'étonnerait. Bien avant, déjà, tu avais l'habitude d'être rejeté. Tu en as souffert un temps, puis cela a cessé. Comme j'aimerais pouvoir te comprendre, Mondingus. Tu en as vu de toutes les couleurs et, là où les passés les plus malheureux forgent des personnalités hors du commun, tu es devenu l'une des personnes les plus banales sur terre.
Et là, tu erres dans un no-man's land où tu ne remettras sans doute jamais les pieds. Malgré tout, tu sembles heureux, aujourd'hui. Tu avales en une bouchée la moitié d'une tarte à la mélasse et, avant de remettre ta cape de voyage usée jusqu'à la corde sur tes épaules, tu abandonnes dix gallions sur le comptoir verni, alors que tu n'en devais pas la moitié. En effet, cela m'étonne. Vois-tu, je te connais plus que toi-même et, la générosité, ce n'est pas dans ta nature. J'en veux pour preuve la fontaine du ministère, devant laquelle tu es passée des centaines de fois sans jamais y jeter la moindre pièce. Mornilles, noises, gallions, tu n'y lâcheras rien ! Lorsque l'on te traite de radin, tu l'ignores et passe ton chemin. Etrangement, tu gardes une main enfoncée dans la poche droite de ta veste. Une vilaine blessure ? Un énième ' emprunt ' ? Quelque chose de plus stimulant, peut-être ... Je vois ton regard s'assombrir, ta silhouette se redresser et, lentement, tes pas se diriger vers l'entrouverture de la porte d'entrée. A l'extérieur, il pleut toujours. Loin d'être soigneux vis à vis de toi-même, tu continues d'ignorer la capuche qui flotte derrière toi et t'engages dans une allée assez large, se vidant à vue d'oeil. Les passants disparaissent derrière les hautes portes de bois, s'ouvrant et se refermant à une vitesse alarmante, les entrées se faisant plus fréquentes que les sorties. Il aurait été tout naturel de ta part d'entrer dans une boutique chauffée et confortable, sachant parfaitement que tu n'y achèterais rien. Seulement voilà, une affaire juteuse t'ouvrait les bras, et tu n'avais aucune envie de la manquer. Ah ah, voilà ce que tu cachais, au fond de ton blouson ... Ta paume ouverte est ajustée sous tes yeux, au creux desquels semblent rougeoyer deux flammes; les flammes de la victoire. Trois petites boules gluantes, collées les unes aux autres, y gisent. Un enchevêtrement d'algues vertes, dégageant une odeur de moisi, composent ces trésors que tu contemples comme des joyaux. Ce fragile assortiment n'est autre qu'un tas de branchiflore, qui, ne crois-tu pas, se vendra à prix d'or si tôt qu'un acheteur se sera présenté. Malheureusement, la branchiflore n'était utile qu'à une minorité de personnes, et la plupart d'entre elles étaient isolées à l'autre bout du monde. Certes, elle aurait bien plu à de jeunes gens stupides, mais l'abus se révélait dangereux et risquait bien de transformer les consommateurs excessifs en poulpe. Mais cela t'était égal, pas vrai ?
Ah, Ding, je pense au pauvre lecteur. Il ne doit pas tellement comprendre, hein ? Pour lui faciliter la tache, je dirais simplement que l'idée de revendre tes précieux biens à des étudiants non expérimentés ne te dérangerais pas. Peu importe les mésaventures qui pourraient en déboucher, l'important est le poids de ton porte-monnaie, après la vente en particulier. Une vingtaine de gallions la trentaine de grammes, un prix raisonnable, d'après toi. L'est-ce pour des élèves qui, pour la moitié, n'ont pas plus de cinq gallions mensuel ? Arf, la plupart économisaient afin de s'offrir le nouvel éclair de feu, ou encore quelques potions sur le chemin de Traverse. Alors de la branchiflore, ils s'affoleraient tous ! Hmm, quand bien même, les affaires allaient bon train ces temps-ci. L'accès privilégié à Poudlard dont tu disposais te permettait bien des choses, plus particulièrement d'étendre ta clientèle aux jeunes boutonneux qui se précipitaient tous sur tes pas, dès lors qu'ils te savaient dans les couloirs du château, sous le nez de Dumbledore. Celui-ci avait à faire et, tu imaginais qu'il ne prêtait pas attention à un alcoolique en quête de gallions, même si tu fauchais ses propres élèves sans qu'il ne fasse rien.
Une destination toute choisie, tu inspirais une dernière fois et fermais les yeux, visualisant à présent le couloir sans tableau, qui était d'ailleurs ton préféré, lorsque tu étais étudiant.
- ' TIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIING ! '
Quelle maladresse, mais quelle maladresse, alors ! Le corps enseignant ignorait totalement les raisons de tes venues ici, même s'il leur arrivait de te croiser au détour d'un escalier ... Plus ils t'apercevaient, plus tu sentais le doute les envahir. Tu avais même vu Slughorn te suivre, un jour. Autant dire que tu avais mis en place tout un stratagème pour passer inaperçu. Tu fixais ton QG à un endroit bien précis où, à force, les élèves commençaient à s'habituer. Mais avec des entrées pareilles, ta mise en scène ne servirait à rien, tout le château accourait avant même que tu ai pu faire un pas, va. La chance paraissait être de ton côté, puisqu'au moment où tu te hissais de nouveau sur tes jambes pour te dégager de l'armure rouillée qui te coupait la respiration, l'endroit était toujours aussi désert. Alors, adoptant une légèreté qui n'était pas commune à ta démarche, tu te faufiles vers la porte de bois réduite qui mène tout droit à ... La salle de duels. Etrangement, elle était toujours vide. Le club de duels était peut-être fermé .. Et qu'il y reste !
Enfin, tu pouvais te reposer un peu. Te laissant tomber sur la première chaise que croisent tes yeux, tu patientes, attendant à tout moment un Gryffondor pressé ou une Poufsouffle ahurie, leurs mines rebelles te redonnant plus ou moins goût à l'escroquerie. Les magouilles, encore et encore. Elles te maintenaient en vie, finalement. Pour en revenir à l'intrigue générale, tu attendais. Dix minutes, vingt minutes, le temps que la rumeur se répande, peut-être. Mais si, un fantôme t'avait forcément vu ... Ou un détecteur débile, ou encore un animal de compagnie ... Si, si, comme toujours, enfin. Encore quelques secondes, et tu manquais de t'endormir ! Selon l'horloge, l'heure du diner approchait. Mais tu n'avais pas faim, tu étais simplement exténué. Mon vieux Mondingus, une cure de sommeil ne t'aurais pas fait de mal. Tes paupières étaient lourdes, de plus en plus lourdes, mais une entrée soudaine te força à relever une fois de plus la tête, un visage que tu ne connaissais que trop bien s'étalant devant tes yeux horrifiés ...